Les origines de l'éducation internationale : le constructivisme

Lorsque la première école internationale du monde a ouvert ses portes, la notion même de pédagogie - en d'autres termes, la science et l'art de l'enseignement - était encore relativement nouvelle dans le domaine de l'éducation.

Bien que Jean-Jacques Rousseau ait publié son traité à la fois brillant et singulier sur le sujet quelque 200 ans plus tôt (Émile, ou De l’éducation, étant une œuvre majeure sur la psychologie de l'apprentissage et les techniques d'enseignement), il était très en avance sur son temps. Ce n'est qu'au début des années 1920, avec l'émergence de ce que l'on appelait "l'éducation nouvelle", que ses idées allaient véritablement influencer les praticiens de manière significative et tangible.

Sous l'influence générale de la pédagogie de Rousseau, l'éducation nouvelle a émergé comme un creuset des idées de John Dewey, Maria Montessori et Jean Piaget, ainsi que de penseurs plus anciens tels que Friedrich Fröbel et Johann Heinrich Pestalozzi.

Tous ces philosophes de l'éducation partageaient la conviction que, d’une part, le questionnement naturel et la curiosité intrinsèque des élèves doivent occuper une place centrale dans les pratiques éducatives. D’autre part, parallèlement, l'enseignant doit accorder une attention particulière moins sur le programme à couvrir et beaucoup plus sur les dynamiques émotionnelles, psychologiques et sociales à l'œuvre chez l'élève. C'est en prêtant attention à ces deux éléments que naît une pédagogie centrée sur l'apprenant-e.

Dans les années 1920, la plupart des salles de classe suivaient un modèle d'apprentissage rigide et didactique, privilégiant une approche axée sur la transmission des connaissances par le biais de cours magistraux et de la répétition. Les techniques pédagogiques plus avancées, telles que la différenciation, l'étayage, le travail en groupe et l'évaluation de la compréhension plutôt que de la simple production - techniques plus sophistiquées que les bons enseignants-es comprennent et utilisent - étaient rares. La littérature de Charles Dickens offre aux lecteurs et lectrices plusieurs parodies comiques de ce style d'enseignement sans imagination, notamment à travers le personnage de Gradgrind, l'enseignant obsédé par les faits dans son roman Hard Times.

Cependant, dans la première école internationale du monde, les premiers enseignants étaient résolument ancrés dans les théories pédagogiques centrées sur l'apprenant. Florence Fake, une enseignante américaine extrêmement compétente et experte, titulaire d'un doctorat en éducation de l’Université de Chicago, illustre parfaitement cette approche. Elle s'est rendue à Genève pour enseigner selon les principes de John Dewey, dont la classe démocratique met l'accent sur la pensée critique, la voix de l'élève et, surtout, l'apprentissage par la pratique (souvent appelé "apprentissage actif"). Le fait que l'école ait accepté de faire venir une enseignante de l'autre côté du monde pour appliquer ces principes est une indication claire de son engagement envers le type de pédagogie auquel elle croyait. Une autre enseignante des premiers temps, qui a eu un énorme impact sur ses élèves, était la pédagogue russe allemande Elsa Hartoch, qui avait étudié avec Maria Montessori.

Ainsi, dès le tout premier jour de classe, les élèves n'ont pas été contraints de s'asseoir en rangs pour écouter un cours magistral ou apprendre les déclinaisons latines. Au contraire, ils se sont réunis autour d'un projet simple : construire un clapier pour le lapin de compagnie de l'école. Ce projet incarnait tous les principes d'une approche constructiviste de l'apprentissage : une collaboration active entre l'enseignant et les élèves, l'apprentissage s'articulant autour d'un projet de la vie réelle, moins un exercice théorique qu'un exercice pratique.

D'autres enseignants emblématiques des débuts de l'Ecolint se sont distingués par leurs méthodes d'enseignement actives et créatives. Paul Dupuy, qui demandait à ses élèves de dessiner en groupe des cartes de régions du monde qui leur étaient inconnues, ou Charles Baudouin, psychanalyste français, qui intégrait des éléments de sa pratique thérapeutique pour enrichir l'apprentissage de la littérature, de manière créative et particulièrement efficace.

L'apprentissage actif, fondé sur la recherche et le constructivisme, offre bien plus aux élèves qu'une simple pédagogie technique. Dans les années 1970, le psychologue Elliot Aronson, qui étudiait les pratiques pédagogiques dans les écoles dé-ségréguées aux États-Unis dans le sillage de l'affaire Brown vs Board (1954), a conçu la classe puzzle (une méthode, où les élèves apprennent les uns des autres dans des groupes tournants structurés) visant à atténuer la croissance des préjugés. En effet, Aronson a observé que le jeu individualiste à somme nulle des évaluations à enjeux élevés et la compétition instaurée par des salles de classe où l'enseignant est devant la classe, sollicitant les élèves à lever la main pour être remarqués et invités à s’exprimer, n'étaient pas efficaces pour réduire les barrières sociales entre les élèves. En revanche, lorsqu'ils sont amenés à s'écouter attentivement et activement, à travailler ensemble sur un projet commun et à apprendre les uns des autres, et non pas malgré les autres, le respect mutuel se développe. Cette dynamique collaborative crée une atmosphère propice au travail en commun. C’est ainsi que Aronson a étudié et constaté cette méthode.

Le constructivisme ne se limite donc pas à la construction de l'apprentissage au sens étroit, il vise également à créer un monde plus collaboratif et plus pacifique. Si les dirigeants-es du monde pouvaient s'asseoir ensemble et travailler ensemble dans le cadre d'un projet, les avantages pour la paix dans le monde seraient considérables.

Les écoles internationales doivent continuer à respecter ce credo original de l'École internationale de Genève et concevoir des expériences d'apprentissage qui développent les dispositions nécessaires au bien individuel, collectif et public. Pour faire ressortir les dons collectifs des jeunes, la pédagogie constructiviste fonctionne bien, comme le savaient les pionniers de l'école il y a tant d'années.

Conrad Hughes
Directeur général