L'esprit international est l'une des pierres angulaires de l'éducation internationale. Ce qui distingue cette approche des autres, ce n'est pas seulement le fait que les élèves apprennent aux côtés de camarades du monde entier, mais aussi que cette expérience est intentionnellement intégrée dans leur parcours éducatif. Une école internationale de qualité veillera également à diversifier son personnel, pour que cette expérience internationale soit non seulement vécue par les élèves, mais aussi incarnée par les enseignants-es et reflétée dans la culture pédagogique.
Lorsque l'École Internationale de Genève a ouvert ses portes, le concept de nationalisme était à son paroxysme, ayant conduit à une guerre mondiale dévastatrice et à l'émergence du fascisme, une doctrine violente et nationaliste. En 1924, l'internationalisme était un contre-discours face à ce qui était devenu la norme. Il a été élaboré dans l'idéalisme des premières organisations internationales telles que la Société des Nations, le Bureau international d'éducation et le Bureau international du travail.
Paul Dupuy1, professeur emblématique et charismatique des débuts de l'École Internationale, avait auparavant mené une brillante carrière à l'École Normale Supérieure de Paris. Il était également un activiste intellectuel et social de premier plan, notamment en tant que dreyfusard, luttant pour réhabiliter le nom de Dreyfus dans la tristement célèbre affaire antisémite du même nom. Dupuy a décrit la relation entre l'École Internationale et la Société des Nations avec des mots dramatiques, poétiques, et empreints d'une certaine pensée hégélienne :
"L'École Internationale repose sur une espérance ancrée dans la foi, et c'est cette espérance et cette foi qui nous réunissent aujourd'hui, à l'aube d'une nouvelle année scolaire. C'est cette espérance, née des ruines, surgie du pire désastre que l'humanité ait connu, qui a captivé l'âme du Président Wilson, l'a inspirée, l'a imprégnée, en est devenue le moteur, et malgré les doutes, les sarcasmes, les suspicions, l'hostilité, a donné naissance à cet organisme international déjà si vigoureux, sous l'égide duquel, nous l'espérons, notre école continuera de grandir."
Voici quelques pratiques qui distinguaient l'École Internationale dès 1924 :
Une identité transnationale
Comme le souligne avec perspicacité l'universitaire Leonora Dugonjic-Rodwin dans son article “A miniature League of Nations: Enquête sur les origines sociales de l'École internationale, 1924-1930”, jusqu'en 1924, les écoles privées étaient principalement des institutions religieuses ou des organisations caritatives, portant généralement le nom d'un père fondateur ou d'une confession. Dès sa création, l'Ecolint a ancré son identité dans une sphère supranationale, à l'image de la Société des Nations, d'où le terme « international ». Cette adhésion profonde aux idéaux de la Société des Nations a d'ailleurs conduit à la création, en 1953, du premier modèle des Nations Unies au monde à l'École Internationale de Genève.
Pas d'uniforme scolaire
L'objectif était de permettre aux élèves de porter leur costume national. Le port de l'uniforme, pratiqué depuis au moins le Moyen ge comme moyen d'identification d'un groupe par une livrée, était une norme largement répandue. S'en écarter était donc une décision plutôt audacieuse pour une école. Contrairement aux modèles éducatifs qui cherchent à standardiser l'expérience des élèves, l'idée ici était de célébrer la diversité en permettant aux élèves de porter des tenues reflétant leurs cultures respectives.
Assemblées scolaires sur les affaires mondiales
Les assemblées scolaires jouaient un rôle central dans les débuts de l'école, abordant des événements internationaux et incitant les élèves à rester informés sur le monde qui les entoure, au-delà des frontières nationales. Dans les années 1930, face à la montée du nazisme en Europe, les convictions de Marie-Thérèse Maurette sur la dimension morale de la guerre ont dépassé le cadre des assemblées : elle s'est activement engagée dans l'accueil des réfugiés juifs et, avec Bill Oats, une autre figure marquante de l'Ecolint, a même organisé la traversée de la Manche pour un groupe d'élèves, craignant une invasion nazie. Les positions politiques de Maurette (elle était ouvertement communiste vers la fin de son mandat) ont conduit à des assemblées où les élèves recevaient presque quotidiennement des récits de la Longue Marche de Mao ZeDong. Trouver l'équilibre entre un discours éducatif politiquement ouvert et une narration politiquement biaisée est délicat, car le premier peut facilement glisser vers le second, ce qui pousse de nombreuses écoles à éviter complètement la politique. Cependant, l'École Internationale n'a jamais évité d'affronter les réalités du monde, même si cela signifiait parfois que les convictions et passions de ses dirigeants étaient mises en avant.
Un programme international
Dès ses débuts, l'école adopte les deux langues de la diplomatie internationale utilisées à la Société des Nations, le français et l'anglais. L'accent est mis sur l'histoire et la géographie internationales, tandis que le style d'enseignement intègre des pratiques pédagogiques venues des États-Unis, de la France, de l'Allemagne et de la Suisse. Les élèves étaient toutefois préparés aux examens nationaux, car il n'existait pas d'autre alternative à l'époque. Ils pouvaient ainsi choisir entre le “College Board Examination, l'examen d'entrée de Cambridge, la matriculation canadienne, le baccalauréat français ou la maturité suisse” (Dugonjić, 2014, p.149). Cette approche a perduré jusqu'à la fin des années 1960, lorsque l'école a joué un rôle déterminant dans la création du Programme du diplôme du baccalauréat international, un programme d'études explicitement international qui est aujourd'hui enseigné dans des milliers d'écoles à travers le monde. Bien que la définition précise d'un programme d'études international mérite une discussion plus approfondie, dès les débuts de l'École Internationale de Genève, il était entendu qu'il s'agirait d'un programme conçu pour éveiller l'esprit international, c'est-à-dire la curiosité et la compréhension des différentes cultures nationales.
En conclusion, la question de savoir ce qui fait réellement d'une école une institution internationale a été longuement débattue par les universitaires pendant des décennies. L'histoire des origines de l'éducation internationale nous montre qu'il existe quelques approches fondamentales à cet égard. J'ai constaté qu'au fil des ans, certaines « écoles internationales » ont vu le jour avec une approche résolument nationaliste, un personnel culturellement et nationalement homogène, peu ou pas d'efforts pour intégrer le bilinguisme ou le multilinguisme, des programmes d'études nationaux et une philosophie davantage axée sur l'élitisme que sur l'internationalisme. Peut-on vraiment les qualifier d'écoles internationales ? Si ce n'est pas le cas, elles peuvent le devenir en revenant aux sources et en appliquant les principes discutés dans cet article.
Il y a quelques années, lors de conférences, certains affirmaient que l'« internationalisme » appartenait au passé et que l'accent devait désormais être mis sur l'interculturalisme, sous prétexte que la coopération internationale était acquise et que les élèves avaient dépassé leur identité nationale. C'est une idée erronée et regrettable : les conflits interétatiques, le nationalisme exacerbé qui alimente la politique xénophobe, la définition réductrice des individus en fonction de leur nationalité, prônée par certains politiciens de droite, sans oublier les difficultés liées aux passeports et aux droits de visa, ainsi que la mobilité internationale, sont encore bien présents. C'est pourquoi l'esprit international n'est en aucun cas un acquis, mais un chemin que nous devons continuer à emprunter ensemble pour un monde meilleur.
Conrad Hughes
Directeur général
1 Dupuy, P. (1925). “L’Esprit international à École internationale de Genève”, Pour l’ère nouvelle: pp. 3–5