Avec un petit groupe de pionniers, Ludwik Rajchman, le fondateur de l'UNICEF, qui, comme tous ceux de sa génération, avait vu les horreurs de la Première Guerre mondiale, avait la vision d'une école où les enfants de différentes nationalités, même ceux en guerre les uns contre les autres, grandiraient ensemble dans la paix. Rajchman était animé par cette simple idée anti-guerre : « plus jamais ça ».
La Première Guerre mondiale a été fortement marquée par le nationalisme débridé de la fin du 19e siècle, qui s'était développé au point de conduire à l'éclatement d'un conflit à part entière : alors que les empires devenaient des États-nations, la belligérance et l'arrogance politique des dirigeants européens, nourries de ferveur et de propagande nationalistes, ont conduit toute une génération à se laisser emporter par la promesse mortelle de la guerre, censée être un acte nécessaire pour purifier la société de sa décadence. C'était la doctrine des écoles d'art, comme les futuristes italiens, et de la poésie pro-guerre anglaise, comme ces hymnes chauvins composés par Henry Newbolt et Rudyard Kipling.
Mais il n'y a pas eu de purification dans la Grande Guerre : il y a eu une cruauté, une souffrance et une détresse psychique collective inimaginables alors que la guerre se mécanisait, que des gaz empoisonnés étaient libérés dans les poumons de jeunes hommes, que des fantassins marocains et les tirailleurs sénégalais étaient envoyés à la mort et se voyaient refuser les soins des infirmières sur le front, et que des soldats trop terrifiés pour sauter par-dessus les tranchées étaient tués par leurs propres capitaines.
Les leçons tirées de la Première Guerre mondiale, frappantes et réalistes comme les images obsédantes des romans d'Erich Maria Remarque ou les derniers poèmes cauchemardesques de Wilfred Owen, ont montré que les futures leçons éducatives devaient s'éloigner du nationalisme extrême et éviter à tout prix de tomber dans le piège mortel de la glorification de la guerre, de sa propagande, de la transformation d'une autre personne en un ennemi unidimensionnel, de suggérer qu'il puisse y avoir quoi que ce soit de bon dans la guerre.
Un certain nombre de décisions clés ont été prises très tôt pour renforcer cette idée : l'école commémorerait le jour de l'armistice avec une intention et une solennité particulières ; les élèves apprendraient au moins deux langues, afin de débloquer, à travers cette dualité culturelle et linguistique, une appréciation plus riche de l'autre ; les assemblées seraient fréquentes et consacrées aux affaires mondiales, la direction de l'école embrasserait ouvertement et vivement un message de paix, et le message général adressé aux élèves serait que le crime des crimes était de rabaisser quelqu'un en raison de ses origines nationales.
Aujourd'hui, l'ombre macabre de la guerre persiste. Alors que des vies sont perdues et que les discours politiques s'enflamment, les réactions aux guerres ont été la source de désaccords et de conflits dans les écoles et, plus particulièrement, dans les universités. Souvent, ces institutions peinent à se positionner clairement et de manière à ce que les étudiants voient reflété dans l'administration le discours qu'ils ont besoin d'entendre pour savoir clairement et sans la moindre ambivalence que la paix peut être la seule voie de salut. L'effroi des champs de bataille peut être aseptisé et même divertissant sur les réseaux sociaux, les positions idéologiques peuvent conduire les élèves à adopter des positions dogmatiques voire extrêmes s'il n'y a pas de curateur pédagogique, de guide, de voix de la sagesse pour leur rappeler les leçons de 100 ans : never again, plus jamais la guerre !
En se tournant vers le credo original de l'Ecole internationale de Genève, et vers la construction centenaire de l'éducation internationale, on pourrait trouver un peu de réconfort : rassemblons nos communautés d'apprenants-es sous le parapluie de notre ascendance humaine commune et de notre humanité. En éduquant à la paix, en communiquant ouvertement sur la paix et pour la paix, en renforçant les perspectives multiples des élèves, en célébrant l'appréciation des identités multiples, nous devons poursuivre le projet initial de Rajchman et des pionniers qui ont eu l'idée du projet d'éducation internationale. Cela peut signifier commémorer ouvertement et intentionnellement la journée internationale de la paix, célébrer les artisans de la paix et exposer les élèves aux interventions de celles et ceux dont la vie est consacrée à la paix.
Par-dessus tout, qu'il n'y ait aucune ambiguïté sur les valeurs que toutes les écoles internationales mettent en avant dans le cadre de leur mission : elles sont aussi nécessaires aujourd'hui en 2024 qu'elles l'étaient en 1924 et sont clairement illustrées par une phrase souvent citée de Marie-Thérèse Maurette, l'emblématique deuxième directrice de l'école, qui a dirigé l'École internationale de Genève de 1929 à 1948. Elle a dit ceci :
«Vous pouvez vous disputer ; vous le ferez fatalement ; cela arrive à tous les enfants et à certains adultes. Mais, aussi furieux que vous soyez, vous ne devez jamais vous servir de la nationalité ou de la race comme terme d’insulte. C’est, dans cette école, le crime des crimes.»
Conrad Hughes
Directeur général
23 juillet 2024